D'aussi loin que je me souvienne, le fait de se mettre dans les chaussures des autres m'a semblé naturel.
Philo 0, Histoire-Géo 1
Cela a commencé un jour en histoire-géographie, en sixième.
Le professeur nous demandait quelle était la réaction à avoir si l'un de nos camarades était malade.
Fallait-il lui apporter les cours? Lui téléphoner? Ne rien faire du tout?
Je levai la main et répondis qu'en me mettant à la place de ce camarade, j'aimerais que l'on me ramène les cours, c'est donc ce que je ferais pour lui.
Le professeur a rigolé et a dit que je faisais donc cela par calcul, pour que l'on me le fasse pour moi quand je serais malade.
Je lui ai répondu que je le faisais car je pensais que c'est ce que j'aurais aimé que l'on me fasse - si j'étais dans le cas de cette personne.
Ne pouvant pas savoir ce que cette personne aimerait, je me mettais à sa place, et je reproduisais la réaction que j'aurais aimé que l'on ait à mon égard.
Mon professeur a réitéré ses propos "oui, donc c'est du calcul".
On ne s'est pas compris, après quelques échanges de ping pong, les prémisses du café philo ont avorté avant l'heure.
Qu'est-ce-que le mode d'emploi d'un humain?
Toi - moi, mode d'emploi
J'ai continué à penser comme cela pendant très longtemps : on ne sait jamais comment les autres aimeraient que je réagisse quand il leur arrive quelque chose de négatif (maladie, deuil, ou autre désagrément plus léger du quotidien).
Aucune réaction ne convenant à 100% dans ces cas-là, je me suis toujours dit que, quitte à me tromper, autant faire de mon mieux selon mes perceptions et surtout montrer mon soutien et ma présence.
Un jour, ma tante, professeur de français m'a dit "on ne peut pas se mettre à la place des autres car nous ne sommes pas eux et ils ne sont pas nous".
Ca a fait tilt.
Impossible de se mettre à la place de quelqu'un, je ne peux que tendre vers cela en prenant en compte le mode d'emploi de la personne.
Qu'est-ce-que le mode d'emploi d'un humain?
Sa manière de penser, d'interagir avec le monde, comprendre ce qu'il adore, ce qu'il abhorre, ce qui peut le blesser, ce qui le met en joie.
En gardant ma personnalité, proposer de le rencontrer à mi-chemin entre son univers et le mien.
Sentir comment la personne en face se sent, ce qu'elle ressent, et prendre en compte cette information pour ajuster sa communication avec elle
Les émotions c'est mal, l'intelligence émotionnelle, c'est bien
La première fois que j'ai entendu parler d'intelligence émotionnelle, c'était dixit mon padre. Je n'ai pas cherché à en savoir plus, il n'a pas développé, je n'ai pas demandé.
Depuis que je suis à Hong Kong, j'entends très régulièrement le terme "EQ" (Emotional Quotient).
Ma définition de la chose est la suivante : sentir comment la personne en face se sent, ce qu'elle ressent, et prendre en compte cette information pour ajuster sa communication avec elle.
Je pensais que tout le monde procédait de cette sorte-ci...jusqu'à ce que je rencontre des personnes en auto-pilote, branchées sur un mode robot qui semblait immuable.
De mon point de vue, l'intelligence émotionnelle a deux pendants:
- L'intelligence intra-personnelle : connaitre et reconnaître ses émotions, comprendre ce que l'on ressent. Se connaître, en somme.
- L'intelligence inter-personnelle : comprendre intuitivement comment se sent l'autre en se branchant sur lui.
Quand j'arrête de vouloir avoir raison, un premier pas est fait
Je blesse, tu blesses, nous blessons
On ne peut pas s'empêcher de blesser les autres ou d'être blessé, ainsi va la vie.
En prenant en compte ce fait, je rêve d'un monde où on arrête le "passage en force".
Où les "tu es trop sensible", "je marche sur des oeufs avec toi" n'existent plus.
Pas parce que les autres auront compris mon mode d'emploi à 100%, tout comme je ne comprendrais jamais les leurs parfaitement, mais plutôt parce que l'on aura collectivement décidé d'arrêter d'avoir raison.
On aura décidé d'arrêter d'imposer notre vision aux autres.
Quand j'arrête de vouloir avoir raison, un premier pas est fait.
Comment communiquer à l'autre ma sensibilité, mon besoin de respect de mon royaume intérieur, sans que cela soit pris pour une leçon de morale ou une infantilisation?
Nous avons tous un degré de sensibilité différent.
Longtemps, encore aujourd'hui, on me dit "tu es trop sensible", "tu te prends trop la tête", "baisse le volume de la sensibilité", "fais attention à ne pas tomber dans de la sensiblerie".
De mon côté, je vois en face un manque d'intelligence émotionnelle, ou bien simplement pas l'envie d'envisager une perspective nouvelle où le nombre d'informations et leur relief est décuplé.
J'ai simplement l'impression que la personne d'en face "s'en fout", qu'elle fera sans.
Comment rentrer en contact, sans faire mal, se faire mal, sans laisser de côté sa vision des choses différente de ce qui est généralement admis ou convenable de penser dans ce monde rationnel ?
Ainsi, j'espère que l'on accédera tous à un contact humain de haute qualité, en passant de l'imposition à la proposition et à l'invitation
Mon scénario idéal
J'aspire à un monde où l'on pose des questions avant de "passer en force".
D'ailleurs, la première est "comment tu te sens? comment t'es-tu sentie?".
J'aspire à un monde où l'on a envie de comprendre l'autre - même si l'on y arrive pas toujours- avant de s'énerver pour imposer sa vision.
J'aspire à un monde où l'on admet qu'il existe d'autres manières de faire, de voir, de vivre, de penser, de percevoir, où il existe tout simplement une autre réalité que la sienne.
J'aspire à un monde où les délits de sensibilité n'existe plus, où on ne "shame" plus des perceptions profondes.
J'aspire à un monde où la manière prédominante de penser n'est pas que le rationnel, je rêve d'un monde où l'émotionnel a aussi sa place. Où la profondeur est admise.
Un monde où on a tous envie de passer un bon moment, tous ensemble.
Un monde où l'envie de rencontrer l'autre est plus forte que tout. Un monde où l'on aspire à ce que les autres se sentent bien.
Pas que cela nous rendent responsables des émotions des autres, je pense que chacun est responsable de ce qu'il ressent et surtout de comment il y réagit.
Je parle juste d'une intention de découverte de l'autre, à juxtaposer à notre besoin d'être reconnus et respectés.
Celle de vouloir passer un moment dans la joie, de valider automatiquement les émotions des autres - puisque de toutes façons, elles sont déjà là.
Je ne parle pas de réalité générale, je parle de nuance, de finesse, de rythme, de mouvement, de beauté.
Ainsi, j'espère que l'on accédera tous à un contact humain de haute qualité, en passant de l'imposition à la proposition et à l'invitation.
Sur ces mots, à bientôt.
Pauline